Bien encadrer son stagiaire : question de génération ou de management ?
718 000 alternants en 2021, soit 37 % de plus qu’en 2020. Aucun doute, les entreprises françaises trouvent plaisir et intérêt à transmettre leur savoir aux jeunes générations. Mais à y regarder de plus près, les relations stagiaire/maître de stage s’apparentent parfois plus à de l’autoritarisme qu’à une collaboration doublement gagnante. Le tutorat se transforme alors en despotisme. La dictocratie provoque au mieux la rupture de contrat, au pire, elle engendre des effets délétères pour l’apprenant. Pour que le management intergénérationnel prenne tout son sens, les entreprises favorisent la collaboration des baby-boomers et générations X avec leurs homologues Y et Z. Bien encadrer son stagiaire commence dès l’arrivée de l’apprenti et finit avec le savoir-être. Car peu importe l’époque, se respecter mutuellement est une recette gagnante qui n’a pas d’âge.
Management intergénérationnel : les années passent, les cultures entrepreneuriales aussi
Du management analytique des 80’s aux générations Y et Z
Dans les années 80, la culture managériale et les avancées technologiques poussent à l’accumulation de richesses. Cette période « Bernard Tapie » considère que seule la réussite professionnelle reflète le bonheur.
La mondialisation et l’ouverture à la concurrence internationale obligent à plus de compétitivité. Les entreprises pensent résultat avant tout. Elles nomment leurs managers en fonction de leur leadership. Ils doivent dynamiser chaque individu, pour plus de progrès, d’opportunisme, de challenge en vue du Graal suprême : l’excellence.
Mais les crises financières suivies de la COVID redistribuent les cartes. Les jeunes générations se positionnent désormais sur le bien-être au travail et les valeurs collaboratives.
Alors que les baby-boomers et générations X visent la réussite professionnelle, les générations Y et Z ne rêvent que de curiosité, de créativité et de polyvalence.
Harcèlement : conflit hiérarchique ou conflit générationnel ?
Mais, la quête effrénée de performances met les salariés sous pression. Conjugué au manque de temps et à l’a priori de main-d’œuvre pas chère, car non qualifiée, le management de la réussite dérive vers celui de la tension. Quelles conséquences pour un stagiaire encadré par un senior resté dans un management directif et autoritaire ?
👉 27 % des contrats d’apprentissage sont rompus avant leur terme, soit 75 000 chaque année.
Surcharge de travail, missions sans rapport avec le stage ou dépassement d’horaires, de nombreuses déviances managériales conduisent à une situation difficile pour le stagiaire.
Violences verbales, physiques ou psychologiques répétées, le harcèlement moral entraîne une dégradation des conditions de travail, une atteinte aux droits et à la dignité. Il engendre parfois une altération de la santé physique ou psychique. La jurisprudence liste notamment :
- les critiques injustifiées ;
- les pressions psychologiques ;
- les insultes et les humiliations ;
- la surcharge de travail ;
- la dotation de tâches dévalorisantes et/ou dépassant les compétences du stagiaire ou de l’alternant.
L’article L412-12 du Code de l’éducation protège les stagiaires au même titre que tout autre salarié. Les articles D331-1 à D338-51 disposent de l’alternance.
Depuis septembre 2020, le compte Instagram Balance ton stage (21 800 abonnés) recueille les témoignages et libère la parole de milliers d’étudiants. Son but est de dénoncer et sensibiliser aux abus en entreprise.
Le site dis-moi mon droit répond à ceux dont le stage se passe mal.
Vers une collaboration intergénérationnelle
Pour performer non pas malgré, mais avec les différences d’âge, l’entreprise favorise le lien social, instaure des espaces d’échange et d’écoute entre les membres de l’équipe. Trois clés du succès : la communication interne, l’esprit d’équipe et la valorisation de chaque individu, quelle que soit sa date de naissance.
Les compétences en nouvelles technologies des juniors complètent l’expérience terrain et empirique des seniors. La mixité générationnelle devient facteur d’innovation. À défaut, le quinqua trouvera ses dossiers dactylographiés sur une plateforme collaborative sécurisée, comme l’explique Éric Vincent, dans le Renard et la cigogne, une de ses Fabuleuses Fables Managériales.
Certaines organisations définissent même des binômes générationnels : un X avec un Y pour une entente agile. L’idée : valoriser la diversité et créer de la cohésion. On arrive alors à la notion d’inclusivité. Selon Laurent Depond, auteur à l’Institute of Cognitivism : l’entreprise du XXIe siècle sera inclusive ou ne sera pas.
3 pratiques pour bien manager un stagiaire
1 – Des missions de stage claires et engageantes
Dès la décision de recruter un alternant, l’entreprise rédige la fiche de poste détaillée avec des objectifs ambitieux, mais atteignables pour un jeune étudiant.
Qui sera son tuteur ?
Au sein de quelle équipe va-t-il évoluer ?
À qui va-t-il rendre service ?
Quels rôles endossera chaque collaborateur ? Non, le maître de stage n’est pas forcément le seul intervenant auprès de l’apprenant. Les systèmes de mentorat ou de parrainage fonctionnent très bien.
Quelles sont les suites possibles à la fin du contrat ?
Il débute par des missions « quick wins » qui nécessitent peu de temps et autorisent les erreurs. Il monte en compétences graduellement et de manière sécurisante.
Lui octroyer, en parallèle, un projet « fil rouge » le valorise. D’autre part, cela lui évite les périodes creuses où il tourne en rond, cherchant désespérément à qui rendre service.
🤔 Vous ne disposez pas encore d’un livret d’accueil ? Très bien ! Confiez-lui cette tâche.
2 – La formation des maîtres de stage pour plus de pédagogie
Nous le savons, les générations Y et Z ne se contentent pas de créer de la valeur travail. Elles souhaitent une vraie mission professionnelle cohérente avec celle de leur vie.
Le maître de stage a donc un double rôle. Non seulement il forme le jeune aux techniques du métier. Mais, l’idéal est de lui transmettre l’ADN de l’entreprise, l’« acculturer ». Enfin, le tuteur montre l’exemple, il doit être inspirant et modélisant.
Au début, l’accompagnement est quotidien. Puis des points hebdomadaires voire en fin de période en entreprise suffisent. Aux feedbacks s’ajoutent les feedforwards : des idées d’amélioration basées sur des missions réussies et des suggestions constructives.
Les méthodes de communication sont particulièrement importantes pour l’apprentissage :
- CNV (communication non violente) ;
- méthodes OSBD (Observation, Sentiment, Besoin, Demande) ou FEBA (Faits, Émotion, Besoin, Action) ;
- écoute active, etc.
👉Saviez-vous que les OPCO proposent des formations au tutorat ?
👉 Selon le baromètre de l’alternance, 1 alternant sur 5 n’a pas de tuteur malgré l’obligation légale.
👉 L’Observatoire de l’alternance appelle à systématiser la formation des tuteurs et des maîtres d’apprentissage.
3 – Une exigence adaptée à l’apprenant
L’excellence se recherche selon des critères différents des autres salariés. Si le manager ne peut exiger les mêmes performances que celles d’un CDI expérimenté, il attend cependant la ponctualité, l’envie d’apprendre, la motivation, la bonne humeur et le respect des consignes.
Le droit à l’erreur fait partie de l’apprentissage. Les feedbacks réguliers permettent de revenir sur ces maladresses en gardant un esprit critique constructif et encourageant. Il en va de la confiance en lui du stagiaire. C’est pourquoi ces entretiens célèbrent aussi les victoires pour valoriser le jeune.
« Aimez vos stagiaires », conseille Éric Vincent.
L’intégration des alternants : le secret d’un premier jour réussi
Un bon accueil
Heureux de quitter les bancs de l’école, les stagiaires, alternants ou apprentis aspirent à intégrer une équipe de professionnels, à faire enfin connaissance avec de vrais collègues. Cette hâte n’empêche pas une certaine appréhension.
Peu avant sa première journée, un mail de bienvenue lui précise :
- la date et l’heure de son arrivée ;
- le nom et la fonction de la personne qui va l’accueillir ;
- les documents nécessaires (RIB, carte vitale, etc.) ;
- le dress code, le cas échéant ;
- la présence ou non d’une cantine d’entreprise ;
- le plan des transports en commun ;
- un rapide tour d’horizon de son premier jour de travail, etc.
Si cette liste paraît exagérée (bien que non exhaustive), pensez qu’elle sert surtout à rassurer et à éviter les petites questions d’organisation souvent embarrassantes pour une jeune recrue. Elle est aussi gage de l’image de marque de l’entreprise en tant que recruteur engagé dans sa politique QVT, empathique et attentionné, tout simplement.
Le livret d’accueil des nouveaux salariés, pour sa part, reprend les valeurs et la culture de l’entreprise, son histoire, l’organigramme, etc.
Enfin, son bureau dispose déjà de l’ordinateur et des licences informatiques, du téléphone et autres badges nécessaires. L’adresse mail et les mots de passe l’attendent patiemment.
La création d’un document « onboarding » s’avère très pratique comme check-list.
👉 4 % des nouveaux arrivants quittent leur travail dès le premier jour ; 22 % dans les 45 jours, selon le magazine Forbes.
S’intéresser à son alternant
Ça y est, votre protégé dispose de toutes les informations relatives à l’entreprise. Mais l’inverse se vérifie-t-il ? N’oubliez pas de vous intéresser à votre nouvelle recrue. Peut-être vous donnera-t-elle de superbes idées d’amélioration ? Comme tout récent embauché, un stagiaire ou un alternant complète l’ADN de l’entreprise par ce qu’il a de positif et de complémentaire.
Enfin, rappelons-nous que lui aussi arrive avec un objectif et des ambitions. L’accueillant a tout intérêt à les connaître pour s’aligner au mieux à son élève.
Répondre à ses questions relève du bon sens, mais demande d’y consacrer un minimum de temps.
Quelques maladresses récurrentes qui gâchent une première journée de stage
Un peu de légèreté, voici enfin le top 4 des gaffes :
- se tromper de prénom et ignorer le parcours scolaire du stagiaire ;
- oublier de lui faire visiter le site ;
- le comparer à son prédécesseur ;
- le tenir à l’écart des discussions détendues lors de la pause café.
Le parcours d’alternance façonne les compétences par une expérience réelle du terrain. Néanmoins, les débuts et fins de contrat marquent psychologiquement la mémoire des apprentis.
👉 41 % des alternants confient que l’ambiance de travail est ce qui leur importe le plus, avant l’organisation, la charge de travail, la rémunération et enfin, les perspectives d’embauche.
Le choc des générations n’aura pas lieu dans l’entreprise qui sensibilise ses tuteurs et autres maîtres de stage à la richesse de la mixité générationnelle. Bien encadrer son stagiaire, c’est l’accueillir dans cet univers nouveau pour lui, celui du monde professionnel. Comme la cigogne se joue du renard, un alternant frustré ou harcelé, a aussi les moyens de malmener celui qui aurait pu devenir son mentor. Qu’on se le dise !
Je m’intéresse à la communication positive au travail.
Sources
Les obligations des employeurs vis-à-vis de leurs stagiaires